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Reboot : quand le pivot ne suffit plus

Reboot : quand le pivot ne suffit plus

Préambule

Ces dernières semaines, nous avons rencontré plusieurs entrepreneurs qui partageaient une préoccupation commune : la conviction que leur entreprise se dirigeait rapidement vers un mur, mais qu'ils tenaient une idée en or. Beau concept + difficulté à trouver le "use case qui tue" + problème d'exécution + trésorerie qui fond comme neige au soleil est un combo désarmant. Que faire ?

Le réflexe naturel est celui du pivot. Mais il est parfois trop tard pour pivoter, ou des problèmes essentiels peuvent rendre le pivot inopérant. Plutôt que de se résigner à l'échec définitif, il ne faut pas écarter la solution du reboot.

  1. Quand le pivot ne suffit plus
  2. Qu'est ce qu'un reboot de projet
  3. Mettre en oeuvre un reboot
  4. Le reboot : une solution miraculeuse ?

1) Quand le pivot ne suffit plus

Pivoter consiste à réaliser que le chemin entrepreneurial emprunté jusqu'à présent est sans issue, et à chercher un nouvel objectif viable permettant de capitaliser sur une partie du chemin déjà emprunté. C'est rarement une démarche volontaire. Plutôt un constat lucide qui oblige à tester autre chose quand sa conviction première s'avère mise en défaut par le confrontation au réel (clients, partenaires, concurrents, réalités physiques et techniques). Le pivot amène les entrepreneurs à chercher de nouveaux objectifs, parfois proches, parfois éloignés de ceux fixés initialement, et à trouver un autre chemin que celui imaginé au départ.

Les légendes de startups qui ont pivoté avec succès sont nombreuses. Pour citer les plus connues : Slack (ex-Glitch, un jeu en ligne), Youtube (initialement un site de rencontre par vidéos personnelles), Groupon (crowdfunding), Shopify (vente en ligne de matériel pour snowboarder), Twitter (initialement un moteur de recherche et de souscription à des podcasts), Netflix (location en ligne de DVD), Paypal (services de cybersécurité).

Mais il arrive que le pivot ne soit pas praticable. En voici quelques exemples :

  • Les fondateurs ne s'entendent plus. L'un souhaite continuer. L'autre non. Mais la confiance est rompue et les relations trop dégradées pour qu'ils puissent discuter sereinement ou se séparer à l'amiable.
  • Il manque des compétences essentielles parmi les fondateurs (un entreprise tech sans CTO, c'est comme une boulangerie sans boulanger), et l'entreprise s'avère trop avancée avec des erreurs techniques trop nombreuses pour intéresser un CTO de haut niveau.
  • L'argent collecté a été dépensé sans résultat probant, si ce n'est l'identification du chemin qu'il aurait fallu emprunter
  • Le projet de R&D a échoué, mais a permis de faire progresser la connaissance
  • Les business angels, fonds et banques ne veulent pas participer au financement de la prochaine phase de croissance, car l'entreprise n'a pas tenu les promesses faites lors du round précédent

 

2) Qu'est-ce qu'un reboot de projet

La vie quotidienne donne de multiples occasions à un reboot. Un couple qui ne s'entend plus ? Une expérience professionnelle qui tourne mal ? Une partie de jeu vidéo mal engagée ? Un ordinateur bloqué sur un écran bleu ? Une ville où l'on se sent mal ?

Il peut arriver que l'on ait subitement l'impression de rater sa vie, de perdre son temps, de stagner ou de reculer. L'impression d'un immense gâchis, que quoi que l'on fasse la situation ne s'améliorera pas, qu'il est trop tard pour régler les problèmes.

Plutôt que de s'apitoyer sur leur sort, certains choisissent de se prendre par la main, se rebellent, et vont chercher une seconde chance. Same player : shoot again !

L'entrepreneuriat n'échappe pas à cette logique. Quand les fondateurs réalisent qu'ils se sont trompés, qu'ils n'ont pas réuni les conditions pour réussir leur projet, que leur entreprise ne réussira pas, ils doivent trouver le courage de réagir. Réaliser que le projet est dans l'impasse, avant de l'avoir atteinte, est une formidable chance. Car nombreux sont ceux qui n'acceptent de se rendre à l'évidence qu'une fois qu'ils ont touché le mur du fond. La facilité consiste en effet à se laisser pousser par le courant, et se dire et dire aux autres "j'ai tout essayé, mais je n'ai pas eu de chance". Le covid par-ci, les fonds qui n'ont pas voulu refinancer par là, le client qui n'a pas signé au dernier moment, il y aura toujours une bonne raison pour justifier son échec. L'autre chemin consiste à mettre les chaloupes à la mer et à sauver ce qui peut l'être, plutôt qu'à laisser le bateau emporter au fond de l'océan l'ensemble de l'équipage et des passagers.

Rebooter son projet, c'est repartir de zéro, en capitalisant sur tout ce que l'on a appris et fait dans son expérience précédente, en évitant de reproduire les mêmes erreurs et en choisissant de prendre des raccourcis judicieux.

3) Comment mettre en oeuvre un reboot

Dès lors que le pivot ne s'avère pas possible dans sa première entreprise, un reboot consiste à créer une nouvelle entreprise (Deuze), qui va porter un projet proche de celui de la première (Preums), mais pas identique.

  • Preums doit être liquidée

Laisser Preums vivoter alors que l'énergie des fondateurs est mobilisée ailleurs n'a pas de sens. Par respect pour les actionnaires (et notamment ceux issus du love money et les premiers investisseurs qui ont cru dans l'entreprise), il est nécessaire de solder la situation.

Il importe de convaincre les investisseurs de Preums que tout a été tenté pour sauver le projet, mais qu'il n'y a pas d'issue. C'est d'autant plus entendable qu'ils auront, la plupart du temps, refusé de refinancer un nouveau train d'investissement de l'entreprise. Néanmoins il faut prendre son courage à deux mains et le faire.

Il se peut d'ailleurs qu'à cette occasion, certains des investisseurs vous demandent de participer au tour de table de Deuze, parce qu'ils ont confiance en vous, qu'ils croient dans votre nouveau projet, que vous avez eu l'occasion de révéler des qualités insoupçonnées lors de votre premier échec, et qu'ils souhaitent participer à ce nouveau projet au moment le plus propice pour eux. C'est alors l'occasion pour vous de faire d'une pierre deux coups.

Il est toutefois possible que vous soyez obligés de passer par une liquidation judiciaire, dans le cas où les créanciers (notamment établissements bancaires) estiment qu'ils peuvent récupérer de votre entreprise une partie de leur mise et qu'ils refusent la liquidation amiable. Pour les plus petites entreprises (ne détenant pas de bien immobilier, employant au maximum 5 salariés, et réalisant un CA inférieur à 750 k€), la liquidation judiciaire simplifiée, créée en 2005 et étendue par la loi Pacte en 2019, est un bon compromis.

 

  • Deuze doit être fondée par l'équipe cible active

S'il manquait des compétences clés, la nouvelle équipe de fondateurs doit dès le début intégrer les expertises manquantes.

Si les associés du début se sont fâchés, reconduire la même équipe ne s'avère pas envisageable. Toutefois, par souci d'équité, ils doivent tous avoir la possibilité de réutiliser les résultats créés ensemble dans Preums. Cela signifie qu'ils doivent tous avoir la possibilité de créer leur propre Deuze (y compris si elles deviennent concurrentes), indépendamment les uns des autres.

Il ne s'agit pas d'associer dans Deuze des associés dormants, en remerciements pour leurs bons et loyaux services. La nouvelle structure doit être optimisée pour se donner les chances de réussir, et ne doit donc pas propager les erreurs de Preums. Cela n'empêche pas, à titre personnel, que les fondateurs cherchent à rétribuer ou à dédommager d'une manière ou d'une autre les anciens associés (en particulier ceux issus du love money), mais ce n'est pas le problème de la société Deuze.

 

  • Organiser la réutilisation des résultats issus des travaux de Preums

Lorsque tous les actionnaires sont d'accord, les résultats de Preums peuvent être mis à la disposition (droits pleins de réutilisation) de tout ou partie des actionnaires, et en particulier des fondateurs de Preums.

Mais si cet accord unanime s'avère difficile, une possibilité consiste à reverser en open source (pour les logiciels) ou en creative commons (pour les autres produits, notamment documentaires) les résultats de Preums. Certes, tout le monde pourra les réutiliser, mais vous aurez un avantage primordial sur tous les autres en la matière.

Nous vous conseillons de vous adresser à un avocat expert de la propriété intellectuelle pour réussir cette opération sans erreur.

 

  • Faire preuve de transparence

Inutile de chercher à cacher les faits. La vie des entreprises est largement publique et ne résiste pas à nos moteurs de recherche et réseaux sociaux professionnels préférés. Vous avez au contraire intérêt à assumer pleinement le premier échec, et à démontrer votre ténacité, votre persévérance, et votre foi en votre projet.

S'il s'avère en particulier que vous avez besoin à nouveau de lever des fonds (banques, aide à l'entrepreneuriat, BPI, etc.) ou rejoindre un incubateur ou un réseau professionnel, occulter votre parcours entrepreneurial vous desservira.

4) Le reboot : une solution miraculeuse ?

Vous avez joué pendant des heures à votre jeu vidéo préféré. Vous avez perdu. Mais vous relancez une nouvelle partie ? La seule certitude, c'est que vous allez faire moins d'erreurs, vous allez mieux choisir votre équipement, vous allez gagner du temps dans l'exploration de la carte, et vous allez monter plus vite de niveaux.

Et il est fort possible que davantage de joueurs de haut niveau aient envie d'entrer dans votre équipe.

Donc non ! Le reboot n'est pas une solution miraculeuse, mais vous pouvez mettre les meilleures chances de votre côté en partageant votre expérience avec d'autres entrepreneurs aguerris, et en bénéficiant de leurs conseils. C'est tout l'intérêt de notre communauté Flore !

Bon reboot !